Editorial | Chroniques de l'insolite
Pour qu'une chose devienne intéressante, il suffit de la regarder longtemps disait Flaubert. C'est sans doute en adoptant cette attitude que j'aime profondément observer la vie sociale. Car si l'on porte un regard suffisamment insistant sur les situations de tous les jours, ces instants prennent alors une couleur différente et se révèlent à nous sous un angle inédit.
Il n'y a rien de pire que lorsque, à force de côtoyer les mêmes paysages chaque jour on finit par passer devant sans n'y porter plus la moindre attention. Parfois le simple fait d'un éclairage nouveau, de la présence d'une personne ou encore de notre humeur, ce paysage peut se révéler à travers sa singularité. N’avez-vous jamais fait cette expérience ? Lycéen, je me souviens qu'un de mes amis, photographe, avait réalisé une exposition photographique en proposant des clichés des recoins de l'établissement. Clichés qui n'en était justement pas. Car, si les endroits photographiés étaient des lieux que nous fréquentions à cette époque tous les jours pour ne pas dire plusieurs fois par jour, l'interprétation qu'il en proposait les rendaient méconnaissables et surtout leur donnait une nouvelle fraîcheur. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si un lien vers le site de cet ami figue sur ce blog. Aujourd'hui artiste à son compte il a su cultiver, travailler et affiner ce regard pour en faire un véritable instrument de travail dont l'appareil photo n'est que le support. Pour ma part, ce n'est pas tant les lieux et ses empreintes matérielles qui m'intéressent mais ceux qui les font vivre au jour le jour. Autrement dit, le bâtit ne prend jamais un sens aussi véritable que lorsqu'il est occupé par l'Homme. Surtout lorsque celui-ci ne l'utilise pas de la manière dont son concepteur l'avait envisagé. Car c'est là que se révèle le vrai visage de l'humanité en y proposant une interprétation personnelle. Mais c'est aussi à cet instant que l'utilité et la fonctionnalité de tels espaces se justifient. De cette manière, l'imagination et la créativité ne viennent pas que de l'architecte qui a conçu les éléments mais également de l'usager qui se l'approprie et l'adapte à ses besoins. Si j'osai cette comparaison un peu trivial, je citerai l'exemple des grottes et cavernes que l'Homme au temps de son origine peignait de son regard sur le monde. A ce titre, l'espace public est un terrain fertile où s'expriment les identités sociales. Que ce soit dans le hall d'une gare, dans un bus, sur une place ou un parking, chaque jour des situations originales ont lieu. Ou plutôt singulières car l'originalité de ces situations provient de ce que l'on éprouve après les avoir relatées, sorties de leur contexte. Il me plaît d'y observer les situations les plus cocasses qui s'y jouent et de les immortaliser dans des chroniques que je qualifierai de "insolites". Sans quoi elles passeraient inaperçues. .Mais il me semble qu'une autre particularité ressort de mes chroniques. Et ce particularisme rejoint le débat contemporain dans le sens où il tord le coup à une angoisse. Certains pensent que les gens ne se parlent plus, qu'il n'existerait plus aucun contact entre les individus. C'est parfois vrai que dans les abris bus, les personnes qui attendent leur transport sont pour le moins statiques et sans vois pour ne pas dire sans expression. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer dans une chronique le visage blême et sans sourire des certaines personnes dans la rue le matin. Je pense que l'interaction entre les individus existe mais elle prend des formes nouvelles correspondant à la personnalité de chacun. Ainsi, s'il n'y existe pas de dialogue entre deux personnes qui passent par les mots d'une conversation, un automobiliste qui laisse passer un piéton, une jeune personne qui se lève pour laisser sa place à une personne plus âgée dans le bus sont des actes dont je suis le témoin chaque jour. Et dans ces chroniques, ce sont ces actes que je tenterai plus particulièrement de révéler et de mettre en avant. Autrement dit les situations de la vie quotidienne où se noue l'échange entre les individus.Car, qu'il soit furtif ou posé, éphémère ou régulier, synthétique ou inspiré, l'échange est omniprésent dans nos vies. Et même si le plus souvent, on ne prend pas le temps d'y mettre les formes, il s'immisce de lui-même improvisant des médias originaux. Françoise DOLTO n'affirmait-elle pas que tout est langage ?
Dans cette rubrique : Chroniques de l'insolite, il s’agit d’un parti pris car je considère qu’au-delà de nos faits et gestes habituels, la vie est source d’étonnement ou l’homme tient une place de créateur faisant appel à son imagination. C’est une pratique qui consiste à témoigner de la vie quotidienne sans s’y laisser piéger. Ainsi, je me préserve des habitudes derrière lesquelles on fait disparaître la singularité de l’existence.