24/09/2008

[Lectures] Le temps libre


A l'époque où nous nous sommes familiarisés avec les trente cinq heures, bien que leurs mise en place fasse toujours polémique, il n'est pas inutile de se remémorer les étapes successives qui ont abouti à ce progrès. D'aucuns appellent ce long combat, la conquête sociale des salariés. Si le front populaire est l'époque la plus emblématique, un personnage marque l'apparition d'une notion importante dans la vie sociale : le temps libre. Il s'agit de Léo Lagrange (1900-1940), sous-secrétaire d’État à l’organisation du sport et des loisirs dans le gouvernement Léon Blum.


Yann LASNIER est secrétaire général adjoint de la fédération qui porte le nom de Léo Lagrange et lui consacre un livre. Je l'ai rencontré cette année lors de son passage dans l’Ouest pour la présentation de son ouvrage en hommage à l’engagement politique de l'ancien avocat. Je viens de terminer la lecture de celui-ci. Il m’a intéressé grandement, tant sur la forme choisie que sur le fond, car je crois à l’impact et à la force des discours dans le cours de nos vies. Les textes destinés à être lu à haute voix portent souvent en eux une dimension pédagogique. Ils sont écrits avec l'encre de la conviction qui déclenche une forme d'enthousiasme chez l'auditeur.

Sur le fond, plusieurs raisons expliquent le plaisir que j’ai pris à parcourir les pages de « Léo Lagrange, l'artisan du temps libre ». Voici ce que j’en retiens.


La mémoire, témoin des origines : il n’est jamais inutile de se replonger dans l’histoire qui fonde le contexte que l'on vit. Cela permet, entre autre chose, de mesurer les efforts des générations qui nous précèdent et dont nous apprécions les résultats. C'est une manière de leur rendre hommage et de donner du sens à notre action. On peut ainsi imaginer que demain, d'autres, comme nous aujourd'hui, profiterons de ce que l'on contribue à leur apporter. En ce sens, cela doit conforter notre motivation.
A l’échelle de l’humanité, de nombreuses périodes ont marqué la construction et l’évolution de notre société contemporaine. Le monde tel qu'on le connaît aujourd'hui est, en quelque sorte, le miroir des combats d’avant-garde. Et après les Lumières et la Révolution Française, la période du Front Populaire demeure marquante. Nous portons trop souvent un regard sur l’Histoire à partir de notre situation présente, oubliant de se replacer dans le contexte de l’époque pour en comprendre les réactions. Cette maladresse biaise notre analyse et dépossède les combats de leurs valeurs essentielles. Le fait de remettre au goût du jour des écrits en les replaçant dans le contexte initial en conserve toute la fraîcheur. Et, comme tu l’indiques dans l'ouvrage, les arguments portés par Léo Lagrange n’ont pas perdu leur pertinence plus d’un demi siècle plus tard. Cela traduit à la fois le côté visionnaire de l'homme mais malheureusement aussi l'urgent besoin de justice sociale.


Les valeurs, socle de l’engagement : afficher des valeurs, revient parfois à se cacher d'un débat auquel on se refuse. Citoyenneté, lien social, justice...on a tellement entendu tous ces termes qui tourbillonnent dans les discours que l'on en a perdu le sens. Les valeurs sont pourtant constitutives de notre vie en société et appellent au respect et à la tolérance. C'est pourquoi, mettre en avant la dimension humaine et s’en servir comme une balise dans la nuit noire qui s’abat par moment sur l’existence est indispensable.
Dans les discours qu'ils prononcent, Léo Lagrange, ne se laisse pas séduire par l'emphase et les superlatifs. Il transmet de l'émotion, certes, mais sans perdre de vue la réalité quotidienne de ceux dont il parle. Il vit son combat et porte lui-même son fardeau.

Savoir écouter ses émotions sans pour autant s’en faire prisonnier lorsque vient le moment de défendre l’intérêt général en proposant un texte de loi n'est pas chose aisé. Il faut sans doute bien se connaître soi-même avant de se faire porte parole d'un bien être collectif. Là encore, se dessine dans le discours une autorité morale qui offre la confiance.

Au fil des discours, on découvre immanquablement un engagement fondé sur la solidarité envers autrui. Loin du sentiment de pitié c'est à travers une posture éthique que Léo Lagrange nous invite à comprendre le drame des personnes vulnérables. Là encore, un respect s'impose.


La méthode, précieux outil pour l’action : de sa formation d’avocat, Léo Lagrange aura gardé le raisonnement et l’éloquence pour les mettre au service d’une cause. Il n’y a pas un seul texte ou l’on ressent le parfum d'une révolte stérile. Bien au contraire, chaque fois la recherche d'une vérité l’anime. Au fil de ses interventions, il parvient à construire une opposition crédible car mesuré. Même ses plus furieux opposants ne peuvent qu’admettre la justesse de ses analyses.

Pour garder le cap de son combat, le droit est un de ses plus fidèles alliés. Il reconnaît et maîtrise le cadre des institutions afin de faire avancer la justice.

C’est en s’inscrivant dans le système sans se limiter à le dénoncer abusivement avec passivité qu’il est parvenu à apporter des améliorations. Cette démarche fait de lui un acteur de progrès. Sans perdre la dimension utopique de son combat, il construit du compromis.
Enfin, pour chaque situation qu’il présente, Léo Lagrange est force de proposition. Il met sur la table des solutions réalistes afin que chacun dans l’hémicycle puisse se positionner concrètement sur des solutions. C’est également à travers cette démarche que se mesure le progrès.
La méthode est indispensable afin de mener une stratégie efficace. Comprendre le contexte, de s’inscrire là où se prennent les décisions afin de faire peser sur elles tout le poids de ses arguments. Et accéder ainsi à la liberté qui donne à l’homme les moyens de réaliser ses projets.


Mais au-delà de ces trois points, la rétrospective que l'auteur présente a conduit ma réflexion vers d’autres horizons.

A la lecture de l'ouvrage, le lecteur est en mesure de se représenter plus justement les multiples dimensions que revêt cette vague notion de « temps libre ». Je dois avouer qu’avant d’avoir cet éclairage, j’éprouvais quelques réticences à propos de cette dimension de l’animation. Tout d’abord parce qu’elle me semble un peu restrictive au regard du champ plus large du travail social. D’autre part parce qu’elle porte en elle un aspect loisirs fortement marqué. Enfin, parce qu’à travers un sentiment éloigné d’appartenance au milieu de l’animation socioculturelle, je revendique une réelle fonction de travail social. Et c’est vrai que lorsque l’on parle d’activités « socio-récréatives » on voit bien se dessiner une vague fonction de lien social sans aller plus loin. Pourtant, si l’on regarde autour de nous, le temps libre est aujourd’hui pour chacun un espace de ressources extraordinaire qu’il soit soumis ou choisi.


Au cours de ma brève expérience professionnelle, j’ai exercé des responsabilités tant administratives que techniques ou le rôle de l’animateur se trouvait très souvent à la confluence entre les fonctions d’insertions sociale et professionnelle ou encore médico-sociale sans que l’on soit véritablement en mesure d’identifier l’influence directe de l’animation socioculturelle, si ce n’est celui de médiateur.
Et au milieu de ce système complexe qu’est la société, l’animateur est d’abord un observateur de la réalité sociale. Trop souvent d’ailleurs, il se contente de cette étape, jugeant qu’il s’agit d’une forme d’action. C’est vrai, mais à mon sens insuffisant.
Il utilise pour ce faire un prisme particulier. C’est ce qu’on appelle couramment la « demande sociale ». D’ailleurs une des spécialités de l’animation, c’est justement de créer des espaces pour que les gens, à travers échanges et débats se forgent des avis sur le monde et assurent leur place dans celui-ci.

Voilà en quelques mots, les horizons que m’a ouvert ce livre. Je suis impatient d’en découvrir d’autres du même auteur. D'après ses confidences, il devrait traiter du thème du temps libre.

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