Il y a près d'un an, j'ai eu l'occasion d'assister à un débat intitulé : Une autre société est-elle possible. J'avais rédigé cette note afin de mettre en ordre mes idées et construire un point de vue aussi limpide que possible. En aval de l'été et des péripéties en ordre dispersé, je vous livre ici mon regard dont le diagnostic n'a rien perdu de son actualité.
Si nous nous questionnons aujourd’hui sur l’opportunité d’une alternative, c’est que le modèle actuel ne fait plus l’unanimité.
Il est étonnant de voir que dans le discours tout au moins, le constat général que l’on peut faire est assez partagée par l’ensemble des acteurs qu’ils s’agissent des personnes de terrain tout comme de la classe politique.
Même si la notion de « classe sociale » semble aujourd’hui absente car dépassée dans le débat public, l’écart se creuse toujours un peu plus entre riche et pauvres. Un écart qui s’illustre par des situations sociales dégradées et tout autant perceptible, une angoisse face à l’avenir. Il n’y a qu’a voir pour cela tous les gens dans la rue contre la réforme des retraites car bien qu’elle soit critiquable sur certains points, elle est devenue le réceptacle de l’angoisse face à un avenir incertain et au ras le bol de la crise.
De l’urgence à la recherche de sens
Comme le soulignait Jacques ATTALI il y a peu de temps, l’homme est nomade à travers deux représentations de notre époque. Il y a ceux qui le sont par choix pour partir en vacances ou effectuer des voyages d’affaires et ceux qui le font par obligation pour se rendre là où se trouve l’emploi ou pour rejoindre des pays où il leur semble qu’il fera meilleur vivre.
On note aussi la solidarité qui s’exprime sous des formes nouvelles. Les dons qui affluent auprès des organisations suite à des grandes catastrophes montrent que la place de l’autre est inscrite dans nos existences et que malgré l’individualisme que l’on déplore la mobilisation collective est un réflexe humain.
La mémoire et l’expérience
"Devoir de mémoire", "droit d'inventaire"... autant d'expressions qui nous rappelle la nécessité de nous reporter sur notre passé pour inventer l'avenir. Pour éviter de reproduire les mêmes erreur sans aucun doute mais également pour planter le décors de notre dessein et permettre une meilleure adhésion de tous. Car l'Histoire offre les meilleurs repères qui soient dans l'échelle graduée de nox existences. Et la mémoire est l'écrin qui la conserve.
Qu'elle soit individuelle ou collective, la mémoire est une condition essentielle de l'identité humaine. La mémoire est un devoir que l'on se fixe pour conserver l'apprentissage issue de l'expérience. Mieux, elle constitue un repère pour appréhender le présent. En ce sens la mémoire est une plante vivace.
La période que nous connaissons voit resurgir des amalgames. C'est pourquoi il est plus que jamais important de bien saisir notre passé.
D’un point de vue politique
La finance qui prend le pas sur l’économie réelle. La question sociale qui se manifeste uniquement sous l’angle de la vulnérabilité ou encore le climat dont le dérèglement est au moins en partie dû à la main de l’homme. Si on continuait cette litanie, on pourrait vite sombrer dans le pessimisme. Et pourtant, Albert JACQUART qui était présent dans une ville voisine – Mûrs Erigné - il y a peu lance un appel à l’optimisme. Car l’optimisme – ou l’espérance pour les croyants est un moteur, une énergie propre qui alimente la vie humaine.
Du point de vue de l’environnement elle est nécessaire pour ne pas dire indispensable. D’ailleurs, cette nécessité passe par une responsabilité collective autant qu’individuelle.
Avec les conséquences sociales de la crise financière que connaît le monde, il n’est plus personne qui défende un capitalisme sans fond car trop ravageur. Partout, dans les discours plus que dans les actes, le terme « régulation » est brandit comme la solution miracle. Le problème qui demeure avec ce type solution, c’est son caractère équivoque. Si « régulation » est sur toutes les lèvres, il est possible de penser que chacun donne à ce terme un sens différent, et pire encore, une signification susceptible de préserver son propre confort. Ainsi, en fonction de la place où il se trouve, chacun des acteurs économiques, qu’il soit producteur ou consommateur, porte une vision beaucoup moins consensuelle. Ainsi, pouvons-nous dire que les mots –qui plus est quand ils sont vagues - nourrissent plus aisément le consensus que les actes. Une fois chacun rassuré par des mots, c’est pourtant bien grâce à des actes, que la sortie de crise s’effectuera. Et ce sera le temps des contradictions.
Dans les deux cas, l’Etat est acteur. Tout l’enjeu réside dans le bon dosage de cet interventionnisme. Et la question demeure comme toujours : de la justice sociale ou de l’équité, où se trouve le juste milieu ? Un jeu d’adresse pour un équilibriste. Alors comment définir une ligne de conduite face à toutes ces incertitudes ? Comment savamment mesurer la présence d’un Etat ? En se reportant à des valeurs communes peut-être ?
Pour Jean-François KAHN, dans Où va-t-on ? esquisse, en substance, cette analyse. La sagesse voudrait que la vérité se trouve au centre de toute chose. Pourtant quand on recherche la véritable justesse, celle-ci est un curseur qui varie entre deux extrêmes mais ne s’arrête jamais exactement au milieu. Autrement dit, les choses ne sont jamais toute noire ou toute blanche certes. Mais même dans le gris, il faut distinguer des nuances. Et cela est vrai pour tout ce qui concerne l’activité humaine. Celui-ci varie en fonction du contexte certes mais également en fonction du choix de société, autrement dit du projet politique défendu. Certains vont même jusqu’à parler de politique de civilisation comme Edgar Morin. Il faut nécessairement dès le départ fixer des priorités qui serviront de cadre à l’action politique. Des sujets auxquels l’Etat ne pourra déroger. L’Education comme priorité par exemple fait l’unanimité là-dessus. Personne n’a jamais évoqué l’idée de privatiser le système éducatif en France.
La difficile autorité
« Ensemble tout devient possible », le fameux slogan du Président de la République lors de la campagne présidentielle de 2007 sonne comme un message d’espérance. Pourtant, les deux idées concomitantes, lorsqu’elles sont envisagées indépendemment l’une de l’autre se font entendre comme un véritable défi.
Dans notre société, le « ensemble » prend plus son sens dans la rue que dans l’action publique et le « tout devient possible » n’est quant à lui qu’un vœux pieux. Dans une société où fonctionne l’autorité, le tout devient possible n’a pas grand sens. D’ailleurs la déclaration des droits de l’homme se présente déjà comme un obstacle à cette idée.
Conclusion : l’empathie et la responsabilité
L’avenir se dessine sans doute autour d’une notion souvent utilisée mais plus rarement définie. C’est celle de la responsabilité. La responsabilité de l’Homme dans son rapport à la nature, à la gestion des compte publics autant qu’à la question sociale.
Car comme le disait Saint-Exupéry : nous n’héritons pas de la terre de nos parents mais nous l’empruntons à nos enfants.
Responsabilité. Le terme est sur toutes les lèvres. Des élus à leurs administrés, des dirigeants aux syndicats, des décideurs aux citoyens. Tous les acteurs privés comme publics sont concernés par cette nécessité qui doit conditionner l'inscription de l'action publique dans le réel. Et cette attente suscite autant d'espoir qu'elle nourrit les plus grandes angoisses. Simple résistance au changement ou mauvaise utilisation du terme et de ce qu'il évoque ?
Lorsque l'on est aux affaires, c'est-à-dire en charge d'un bien public ainsi que de la protection de tout un peuple, il est un principe auquel on ne peut déroger, c'est celui de la responsabilité.
Le principe de responsabilité, sous la forme où nous l'avons habituellement, à savoir sous sa forme juridique ou morale, est trop court, parce que, au plus, nous sommes responsables des conséquences immédiates de notre action et aussi des torts qui s'ensuivent, des suites qui ont déjà fait leurs effets. Tandis que le problème de la responsabilité, ce sont des suites qui n'ont pas encore fait leurs effets mais que l'on peut évaluer. C’est l’analyse que nous propose Michel SERRES
Réformer revient donc à évaluer tout autant les conséquences immédiates d'une politique que anticiper sont impact éventuel sur la durée.