19/07/2010

[Regard] Le "rire social", comme cartahrsis

http://www.lexpress.fr/actualite/media-people/porte-guillon-l-humour-vire-de-la-matinale-de-france-inter_901177.html



Depuis toujours, le rire possède un pouvoir libérateur. Pour celui qui fait rire, en acquérant une certaine notoriété, pour celui qui rit, en expulsant une grande part de son angoisse. Pour mener une véritable réflexion sur le rire, il ne faut pas oublier en outre l'objet du rire, son sujet, son motif. Soit, chez bon nombre d'humoristes: celui de qui l'on rit.








Il existe bien des manières de rire et de faire rire. L'humour se déclenche toujours à partir d'un contexte précis. Le « rire social » qui fait actuellement frémir les médias, appartient au registre de la caricature qui passe par la mise en valeur des défauts humains. Pour Henri Bergson, l'homme prend plaisir à rire des difficultés de ses congénères car elles le renvoient à ses propres faiblesses et lui permettent, d'une certaine manière, de s'en libérer, selon l'effet de la catharsis. Ce sont ces situations qui inspiraient les grands acteurs de pantomimes comme Charlie Chaplin et Buster Keaton.
La fonction sociale du rire intervient dès lors que l'objet du rire se déplace de la condition universelle de l'homme à la sphère du politique uniquement. Dès le Moyen Age, le théâtre de foire caricature les représentants du pouvoir, à travers des attitudes largement exagérées qui se codifient progressivement: les médecins, les hommes d'église sont ainsi interprétés avec beaucoup de dérision. Dans ce contexte, le rire moqueur permet de relativiser l'importance du pouvoir et par la même occasion la soumission du peuple à ce pouvoir. Rire du pouvoir c'est donc alléger son impact, s'affranchir des contraintes, casser les codes hiérarchiques, au moins le temps d'une farce, et ainsi se donner le sentiment de conserver sa liberté. Ici, c'est bien la fonction sociale, le statut, d'une catégorie de personnes qui est sujet de dérision, non l'individu lui même. Le rire tel qu'il se pratique dans la société actuellement ne cible pas que des catégories politiques, des fonctions sociales, mais des individus précis et identifiés. L'objet du rire est devenu nominatif. Dès lors, le risque est grand de toucher à l'intégrité de la personne. Le constat devient problème avec l'usage de la parole, comme médium du rire, et l'utilisation des caractéristiques individuelles comme objet du rire: caractéristiques sociales, mais aussi physiques. Plus que la fonction, le rire touche ici le privé, voire l'intime de la personne.
Se pose alors la question du « pourquoi »? Pour quelle raison? Dans que but? Pour se libérer de quoi? Le « rire social » ne peut être gratuit. Il se doit de servir un objectif à vocation sociale. En quoi l'utilisation de caractéristiques physiques individualisées dans un mot d'esprit sert-elle la société?
La liberté d'expression est un précieux trésor pour notre époque et notre société. C'est un acquis sur lequel il est impossible de revenir. Nous devons pouvoir exprimer librement nos opinions, accords et désaccords. Tout le monde s'accorde à le dire, ce n'est qu'à cette condition que la démocratie peut exister. Dès lors, tout peut-il être dit? Qu'elle qu'en soit la manière?
Suffit-il de brandir le drapeau de l'Humour pour justifier toutes les réparties comme on brandit trop souvent celui de l'Art pour justifier toutes les productions plastiques?

Anne-Sophie H.

1 commentaire:

  1. Analyse très fine et très juste qui clarifie de manière irréfutable plusieurs notions. Après avoir lu ce texte, nous disposons des clés de compréhension et de jugement de tous les types "d'humour" d'hier et d'aujourd'hui. Nous percevons mieux l'importance mais aussi les limites du rire social et, plus largement, de la liberté d'expression.

    Marcello

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