20/09/2010

L'éducation, enjeu de société - 3- Bouleverser l'école - L'EXPRESS

Avec l'aimable autorisation de l'Express et de son auteur, Jacques ATTALI, je publie cette chronique parue dans l'Express. Bouleverser l'école - L'EXPRESS
L'école est le lieu où une société transmet ses valeurs ; et donc, d'abord, le lieu où celles-ci se reflètent. Le succès ou l'échec de l'école, c'est donc d'abord celui des valeurs qu'une génération veut transmettre aux suivantes.
Les valeurs françaises sont celles d'une société terrienne, d'origine agricole, où l'accumulation est centralisée, autour d'un Etat auquel chacun est relié en ligne droite et où l'excellence passe par la seule raison. Cela conduit à mettre l'accent sur la sélection d'une élite très particulière, une élite de la raison, essentiellement héréditaire, pyramidale, accumulant des richesses autour d'un centre, privilégiant l'esprit de géométrie, art individualiste par excellence, et sélectionnée par la compétition au sein de grandes écoles, évidemment parisiennes, dans une relation directe du maître avec chaque élève, comme du pouvoir avec chaque citoyen.
Il faut passer à une éducation sur mesure, mettant chacun en situation de découvrir ce en quoi il est le meilleur
Ce système échoue aujourd'hui, parce qu'il ne valorise pas les détours et les labyrinthes; parce qu'il exclut l'intelligence de l'intuition; parce qu'il s'adresse à un grand nombre de jeunes, très divers, avec des méthodes pensées pour de petits groupes homogènes et socialement privilégiés. Un système qui ne fait pas confiance, qui ne met pas en confiance, qui ne pousse pas à comprendre que chacun a intérêt au succès des autres, qui méprise tout ce qui n'est pas le travail intellectuel, qui ne valorise pas la créativité, l'imagination, l'erreur, la prise de risques.
Or le monde d'aujourd'hui a besoin d'empathie, d'expérience, de coopérations, de réseaux, de tribus. Il a besoin que les nouveaux arrivants connaissent les univers du mouvement, du changement, du vivant, de l'intuition, du collectif. D'où l'échec de notre système scolaire, qui, avec ses méthodes inadaptées, conduit 15% des enfants à sortir du primaire sans savoir lire et écrire et 130 000 à quitter chaque année l'enseignement obligatoire sans diplôme. Sans compter bien d'autres impasses.
Tout doit changer. Il faut passer à une éducation sur mesure, mettant chacun en situation de découvrir ce en quoi il est le meilleur et comment il peut avoir intérêt, pour réussir, à aider les autres à s'épanouir.
Pour y parvenir, il ne suffira pas de créer quelques internats d'excellence, qui ne feront qu'élargir homéopathiquement le champ d'une élite anachronique, mais il faudra changer de vision du monde, privilégier le collectif, la diversité, l'intuition, la créativité. Pour cela, d'abord, former les maîtres à un monde nouveau. Et surtout, en amont, changer le regard des parents sur leurs enfants : ils ne doivent plus souhaiter en faire les meilleurs dans les disciplines les plus recherchées à leur époque; ils ne doivent plus penser que le succès, demain, sera à l'image de celui dont ils rêvaient dans leur jeunesse. Ils doivent admettre qu'elle passera d'abord par le libre choix de modèles d'excellence, individuels ou collectifs, économiques ou sociaux, politiques ou associatifs, qui restent à imaginer avec les élèves eux-mêmes; et donc par l'excellence dans des disciplines sans cesse renouvelées, assemblages sur mesure de savoirs multiples.
Tel est le saut le plus difficile qu'une génération doit faire si elle veut vraiment être utile aux suivantes.
Jacques ATTALI

1 commentaire:

  1. Pour aller dans le sens de votre diagnostic, je vous livre ici les propos de Ivan ILLICH pubmiés dans son ouvrage : Une société sans école et rapporté par le magazine Philosophie Magazine.
    A l'opposé du système scolaire existant, Illich jète les bases d'une nouvelle institution éducative qui aurait trois objectifs : grâce à l'instauration d'un crédit éducatif , donner accès aux ressources existantes à tous ceux qui veulent apprendre à n'importe quel âge ; favoriser le libre partage des connaissances grâce à la constitution de réseaux du soavoirs ; permettre aux porteurs d'idées nouvelles de se faire entendre et d'affronter l'opinion publique.
    Autrement dit, les deux idées qui se dégagent consistent tout d'abord à ouvrir le champ de l'éducation hors le murs de la salle de classe. D'autre part de ne pas en limiter l'accès dans le temps. Tout ceci en offrant à chacun les moyens d'apprendre tout au long de sa vie quelle que soit sa situation professionnelle.

    RépondreSupprimer

C'est à vous !